Stammering Pride and Prejudice: Difference not Defect

Référence : Campbell, P., Constantino, C., & Simpson, S. (Eds.). (2019). Stammering Pride and Prejudice: Difference not Defect. Albury, UK : J & R Press Ltd (non traduit). 

Par : Judith Labonté, M.P.O. orthophoniste  

J’ai découvert le livre Stammering Pride and Prejudice en novembre 2019 au congrès international annuel de l’American Speech-Language-Hearing Association (ASHA), en Floride. Fraîchement sorti sur les tablettes en septembre 2019, il m’intriguait beaucoup : quelles discussions il suscitait chez les présentateurs du congrès et entre les congressistes! J’ai eu le bonheur dans les semaines suivant mon retour de me plonger dans cet ouvrage audacieux, diversifié, inspirant. Les idées véhiculées dans le livre sont franchement nécessaires, à mon avis, et suivent un courant de pensée présent dans le domaine depuis plusieurs années, s’orientant vers une définition différente du bégaiement.  

Les éditeurs 

Patrick Campbell, adulte qui bégaie, est médecin à Cambridge, Angleterre. Il s’intéresse aux stigmates personnels et publics, c.-à-d. créés par la société, qui conduiraient la personne qui bégaie (PQB) à vivre des incapacités dans sa vie quotidienne. Il explore également à la façon dont ce processus insidieux peut être modifié, entre autres, en reconnaissant la valeur positive du bégaiement.  

Christopher Constantino est orthophoniste et assistant professeur à la Florida State University à Tallahassee. Ses domaines de recherche concernent principalement les interactions entre la culture, la société et le bégaiement vécu chez la personne. 

Sam Simpson est orthophoniste, formatrice et conseillère spécialisée en relation d’aide. Elle travaille depuis plus de 20 ans avec les gens qui bégaient, en banlieue de Londres en Angleterre. Elle serait une des premières orthophonistes à avoir encouragé le modèle social du bégaiement (« Le modèle social du handicap », plus loin dans le présent article), et des mouvements plus « activistes » tel que Stammering Pride1.  

De quoi parle ce livre?  

Ce livre est une invitation à repenser et à redessiner notre vision des disfluidités de la parole, du bégaiement. Il vise une compréhension du bégaiement chez l’individu plus profonde, plus douce, plus vraie. Un large éventail de témoignages et d’opinions diverses et nuancées est proposé. Au fil de la lecture, nous allons à la rencontre de diverses personnes qui bégaient : un médecin, une jeune femme atteinte de paralysie cérébrale, des artistes, des orthophonistes. Nous y faisons également la rencontre d’une mère dont l’enfant bégaie, et d’activistes et défenseurs qui soutiennent que la vision du bégaiement en tant que pathologie contribuerait au problème. L’ensemble de cet ouvrage nous amène à nous questionner : et si on cessait de concevoir le bégaiement comme une pathologie qui diffère de la norme pour plutôt le considérer sous de nouveaux angles, plus positifs?  

À qui le livre s’adresse-t-il? 

Aux gens qui bégaient, mais également à tous ceux et celles qui ne bégaient pas et qui sont intéressés par le bégaiement.  

D’un côté de la médaille, les préjugés existent (prejudice) 

Dans la société, le bégaiement serait typiquement critiqué et perçu comme étant négatif (la personne « ne parle pas bien »). La parole bégayée n’aurait pas toujours sa place dans une société où tout va vite, où la fluidité est reine. La parole telle qu’on la valorise actuellement serait efficace, claire, transactionnelle. On aime avoir le contrôle sur tout, même sur l’échange communicationnel. Avoir à attendre que son interlocuteur termine un moment de bégaiement en conversation est déconcertant, car cela ne se passe pas comme on le voudrait. Certains auraient par conséquent tendance à terminer la phrase qui est restée en suspens.  

Des jugements existeraient également face à la personne qui bégaie (PQB), qui peut être perçue comme étant faible, moins confiante, moins compétente qu’une personne fluide.  Malheureusement, peu de modèles positifs existent dans les médias grand public; pensons à cette habitude que nous avons de réenregistrer un discours s’il contient des disfluidités, ou au lecteur de nouvelles qui s’excuse de ses disfluidités. Avant les films RocketScience et The King’sSpeech, il n’était pas rare, à la télévision ou au cinéma, que les personnages présentant un bégaiement soient dépeints d’une manière caricaturale, voire abrutissante. 

Il existe différentes situations d’exclusion pour les personnes qui bégaient, plus ou moins flagrantes, allant du défi bien personnel de se faire comprendre par les systèmes de reconnaissance vocale, omniprésents dans nos vies,  à la discrimination plus ouverte d’un enfant qui fait rire de son bégaiement par des pairs à l’école. 

De l’autre côté de la médaille, les fiertés sont bien présentes (pride) 

Ce livre vise entre autres à déboulonner ce stéréotype de négativité en apportant une vision différente, nuancée et positive du bégaiement, en lui redonnant sa juste valeur. Nous vivons au sein d’une société qui commence à comprendre que la différence n’est pas un défaut. Le bégaiement permettrait d’apporter des valeurs distinctes à la communication : passion, désobéissance, curiosité. Comprendre que le bégaiement pourrait également apporter de la spontanéité, de l’intimité, de la vulnérabilité à l’échange. Bégayer devant l’autre implique de montrer sa vulnérabilité, et de faire confiance à l’autre, à son ouverture et à sa capacité de se présenter lui aussi sans masque, sans artifice, sous son vrai jour. Il est précieux de prendre le temps de réellement connecter avec l’autre et de l’écouter avec attention.  

Quelque part entre les deux 

Nous pouvons choisir de quelle façon nous souhaitons percevoir le bégaiement : en adoptant la représentation négative et malheureusement encore dominante en société, ou en nous le figurant plutôt comme une façon unique et tout autant estimable de parler. C’est en accordant d’abord soi-même de la valeur à son bégaiement qu’un changement positif pourra ultérieurement s’observer dans la perception qu’en ont les autres. 

Ceci ne veut pas dire nécessairement que le bégaiement est un jardin de roses. Il peut parfois être une malédiction. Une nuisance. Mais, d’autres fois, un cadeau. Et parfois aussi, peut-être, tout ça en même temps. L’expérience vécue par la personne qui bégaie est complexe, mouvante, contradictoire par moments : elle est profondément humaine.  

Le modèle social du handicap 

Ce modèle, qui revient fréquemment dans le livre, propose que le handicap est créé non pas en fonction de la condition médicale de la personne, mais en raison des attitudes et des structures d’une société. L’incapacité est un processus dynamique, et non une caractéristique inhérente de l’individu. Une incapacité est vécue lorsqu’une personne ne peut participer pleinement en société en raison d’un décalage entre son corps et l’environnement autour d’elle. Par exemple, une personne en chaise roulante sera handicapée devant un escalier pour accéder au 2e étage, mais moins devant un ascenseur. Les PQB n’ont pas besoin de rampe d’accès, cependant, elles ont besoin que la société soit prête à écouter et à respecter leurs disfluidités. C’est un droit humain de base.  

Les attitudes négatives des gens qui ne bégaient pas peuvent être communiquées de multiples façons subtiles (ex. : regard, silence, absence de contact visuel) et moins subtiles (ex. : commentaire, raillerie). La société, d’une façon ou d’une autre, reflèterait le message suivant : « ne bégaie pas ». Et la réponse des gens qui bégaient est compréhensible : ils essaient de ne pas bégayer.  

Serait-ce possible que le problème finalement, ne réside pas tant dans le bégaiement lui-même que dans la réaction de la société à son égard? 

Le vocabulaire utilisé aussi peut jouer un rôle dans ce stigmate, ce préjugé de société. Dire que quelqu’un est « atteint » de bégaiement, « souffre » de bégaiement, ou au contraire est arrivé à « surmonter », à « combattre », à « guérir » son bégaiement reflète une connotation d’oppression. Ceci peut paraître subtil, mais contribuerait considérablement à la vision négative du bégaiement dans la société. Ceci implique également que la PQB qui ne « surmonte » pas son bégaiement serait plus faible, qu’elle manquerait de force, de puissance, de pouvoir. Ce vocabulaire quasi militaire réduirait les PQB en perdants face à ce combat, contre lequel elles sont incapables de gagner. Ce langage populaire péjoratif toucherait insidieusement la PQB, car, avec le temps, elle internaliserait ce message pour sa propre parole, un processus dit d’auto-stigmatisation.  

Ce processus se déroulerait en 3 phases. Voici un exemple donné par Patrick Campbell, un des éditeurs :  

  1. Prise de conscience : l’individu prend conscience tout d’abord qu’il existe un stéréotype à propos de sa condition (ex. : j’ai constaté que la société pense que le médecin qui bégaie fait preuve d’une faiblesse). 
  1. Adoption du stéréotype : à la longue, l’individu en vient à être d’accord avec le stéréotype (ex. : j’ai commencé à croire que le bégaiement était un signe de faiblesse chez un médecin). 
  1. Application du stéréotype à soi-même : finalement, il en arrive à appliquer le stéréotype à lui-même (ex. : je pense que je n’arriverais pas à être un bon médecin si je bégaie). 

Les conséquences de l’auto-stigmatisation sont importantes et multiples : la personne se retient de parler, évite les mots qui risquent d’être bégayés, s’implique peu dans les projets qui demandent à parler beaucoup, etc. Au bout du compte, la personne cache une partie d’elle-même et qu’elle ne veut pas que les autres voient.  

Heureusement, les gens qui bégaient et leurs alliés sont plus forts que ce cercle vicieux de stigmatisation.  

Rester soi-même dans un monde qui tente constamment de te changer est le plus grand accomplissement. (Ralph Waldo Emerson). 

Plusieurs textes du livre encouragent à agir ensemble, à bâtir une communauté qui porterait ce message, pour faire changer la société et les comportements dans la population générale. Chacun doit promouvoir cette vision : PQB, parents, enseignants, orthophonistes. La parole bégayée existe, c’est comme ça. Et ce n’est pas mauvais. Il ne s’agit pas non plus de dire que les PQB sont des superhéros qui surmontent l’adversité à tout prix. Les gens qui bégaient ont juste besoin d’être acceptés en étant eux-mêmes, avec leur parole bégayée. Cette dernière devrait être incluse dans la société comme moyen de communication valable et équivalent à la parole fluide.  

Et l’orthophonie?  

On y aborde également des opinions différentes sur la place qu’occupe l’orthophonie avec les gens qui bégaient. Certains désapprouvent complètement le travail de l’orthophoniste pour différentes raisons. Certains ont vécu des expériences très désagréables en clinique, comme tenter de « contrôler » en vain le bégaiement en utilisant des stratégies de fluidité semaine après semaine, et se sentir incapables de réussir face aux demandes incessantes des parents et de l’orthophoniste. Certains témoignages, au contraire, reflètent que l’orthophoniste fut la seule personne qui leur a permis de parler du bégaiement, de s’ouvrir, de prendre confiance et de mieux vivre avec le bégaiement. Comme le dit bien Rachel Everard, orthophoniste britannique qui bégaie : « la clé est d’enseigner aux gens qui bégaient les différentes écoles de pensées concernant le bégaiement, et comment leurs idées reflètent la thérapie offerte. Les gens qui bégaient peuvent faire des choix éclairés sur ce qu’ils désirent apprendre et acquérir en thérapie, et décider s’ils ont besoin de thérapie ou non ». Les orthophonistes espèrent donner aux gens qui bégaient la permission d’être qui ils veulent. Tous les choix sont bons.  

En conclusion  

Ce livre fait état d’un très large spectre de croyances, d’opinions, et d’expériences vécues chez les PQB. J’ose croire qu’au Québec, notre vision en tant que société du bégaiement n’est pas si négative que celle dépeinte par certains textes dans le livre. Suis-je trop naïve? Dans tous les cas, je crois fortement que nous allons dans la bonne direction en continuant à bâtir une communauté qui bégaie, forte et fière. 

**un merci tout spécial à Julie Marcotte, orthophoniste, pour sa relecture minutieuse