Quand changer un mot dans sa tête est plus facile que de le dire

Parfois tu t’entends dire une vérité et au moment où tu l’entends sortir de ta bouche, tu l’entends pour la première fois.

Cette vérité que tu habitais devient extérieure à toi et cela te prend un moment pour l’apprivoiser sous sa nouvelle forme.

Certains appellent cela une prise de conscience. Parfois, cela pourrait aussi s’appeler une évasion de conscience.

D’ailleurs, une vérité qui s’échappe de l’inconscient, est-ce comme un prisonnier qui s’échappe de prison? Est-ce qu’on devrait la retourner dans sa cage?

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Même après des années à travailler sur ma parole, je continue de changer de mots mentalement au fur et à mesure que des phrases sortent de ma bouche. Je construis et déconstruis, puis reconstruis des phrases à une grande vitesse pour pouvoir éviter de dire des mots sur lesquels je sens qu’un bégaiement m’attend.

Ce n’est pas voulu. Je n’ai plus honte de bégayer. Je suis indifférente à ce que les autres peuvent penser face à mon bégaiement et au mieux, je suis persuadée que cela peut être une expérience positive pour eux de devoir se désensibiliser à la différence.

Donc pourquoi est-ce que je continue régulièrement à changer de mots dans ma tête quand je sens une tension dans les muscles de mon palais et de ma gorge?

« C’est plus facile pour moi de changer de mot quand je sens un bégaiement que de me rappeler de bégayer. »

C’est la phrase étrange que je me suis entendue dire en pleine formation sur l’acceptation de bégaiement et la réduction des évitements que j’ai été suivre en Guadeloupe récemment.

La formatrice, Marianne Ballé-Barrelle, a capté la particularité de cette phrase et elle m’a aidée à rendre légitime la grande évasion qui venait de se passer. Cette vérité, ma vérité, était une vérité jamais entendue et pourtant, elle avait le pouvoir de mieux aider les personnes qui bégaient à dire ce qu’elles veulent dire avec les mots précis qui leur vient en tête en premier quand elles conçoivent leur message.

Les orthophonistes guadeloupéennes et françaises qui assistaient aussi à la formation ont contribué, elles aussi, à donner du sens à mes mots.

« Mais pourquoi c’est plus facile de changer de mot que de dire le premier mot venu en tête? » ont-elles demandé de différentes façons jusqu’à ce que la réponse à cette question devienne de plus en plus logique.

Par habitude, tout simplement.

Éviter des mots est depuis longtemps un réflexe pour moi, un processus inconscient.

Quand je me concentre sur le message que je veux dire, le processus d’évitement se met en place si rapidement que j’arrive à partager mon message avec moins d’effort que si je dois me souvenir de ne pas éviter de mots quand je sens un serrement dans ma bouche!

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Diminuer les évitements de mots dans ma parole est un objectif que je traine depuis longtemps avec moi.

Lors des exercices pratiques, j’ai donc choisi de partager cet objectif à ma partenaire et nous nous sommes pratiquées à montrer la différence entre une phrase sans évitement de mots et avec des bégaiements comparativement à une phrase avec des évitements de mots et sans bégaiements. Je ne me souviens pas exactement des phrases que nous avons inventées, mais nous avons spontanément essayé de communiquer quelque chose à l’autre en évitant 2 ou 3 mots par phrase. Ensuite, nous avons redit la phase en bégayant sur les mots plutôt qu’en les changeant.

 Le résultat peut se comparer à ces phrases-ci :

  1. Est-ce que tu… voudrais venir… faire… du sport avec moi… bientôt?
  2. Est-Est-Est-ce que tu ai-ai-aimerais faire de-de-de l’escalade avec moi jeu-jeu-jeudi?

En comparant les phrases, j’ai découvert que j’avais une nette préférence pour les phrases bégayées que pour les phrases sans bégaiements. Les pauses et les mots moins précis rendaient la communication du message tellement moins efficace que les bégaiements!

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Souvent, quand une vérité se fait voir au grand jour, tu ne peux plus oublier son visage, bien que tu n’y sois pas encore attachée.

Tu espères trouver jurisprudence pour te permettre de lui donner la liberté d’errer dans ton conscient et d’observer les changements qu’elle provoque à son passage.

Surtout, tu cherches des vérités similaires dans la bouche des autres.

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